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UN COURT ROMAN QUI SE LIT AVEC GRAND PLAISIR
PRIX DOUBLE DÔME 2018
PRIX LITTÉRAIRE DES LYCÉENS EN PAYS DE LA LOIRE

vincent almendros, faire mouche, biblioblog de kris

Accompagné de Claire, Laurent se rend dans son village natal à l'occasion du mariage de sa cousine Lucie. On arrive à Saint-Fourneau, on pénètre dans la maison familiale, on assiste à la visite des lieux en compagnie de Claire. Une des chambres a  été préparée avec soin pour le couple. Et pourtant chacun dormira dans la sienne. Sont-ils en froid ? Sont-ils amis ? On constate aussi que la mère de Laurent ne vit pas dans la maison. En six pages, Almendros installe la face visible de l'iceberg nous invitant par la suite à en découvrir la face invisible. L'ambiance est lourde et le style dépouillé. Pas de mots inutiles, pas de formules, des phrases plutôt courtes qui s'enchaînent parfaitement.

Extrait 1, p. 25, Roland (oncle de Laurent) et Claire :

[...]  Vous vous y connaissez, en champignons ?
Pas du tout, s'excusa Claire en ouvrant de grands yeux désolés.
Parce que Laurent, lui, il s'y connaît, ajouta-t-il en se tournant vers moi.
Il m’avait caché ça, dit-elle.
Tous les étés, reprit mon oncle d'une voix martiale, je l'emmenais aux champignons. Tu te souviens ? On partait tous les deux, sans les vieux.
 Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu Roland appeler mes grands-parents "les vieux". À l'époque, il les appelait ainsi pour flatter chez moi un désir malsain d'émancipation.
Bon, dit-il soudain, et il se releva de sa chaise. Il est tard, je vais remonter.
Le bas de sa tenue, un treillis kaki rembourré de poches latérales et de hautes bottes en caoutchouc crottées de terre, contrastait avec sa veste de survêtement et lui donnait l'allure d'un chasseur égaré.
On se voit demain, dis-je en me levant à mon tour pour le raccompagner, suivi de Claire, dont la robe accentuait la saleté des frusques de mon oncle.
Avant de partir, Roland s'arrêta net au pied de l'étroit escalier de bois. Il posa une main sur la rampe. La tête relevée en direction de l'étage, il me demanda si nous avions tout ce qu'il fallait.
Oui, dis-je, nous allions défaire nos valises. Je me félicitai d'avoir pensé à éteindre la chambre du fond, car Roland continuait d'inspecter les lieux, comme s'il cherchait à découvrir quelque chose. Je craignais qu'il ne monte et ne voie qu'on ne dormait pas ensemble, Claire et moi. Je n'avais pas envie de me justifier.
[...]
 

Extrait 2, p.106, la mère de Laurent et le lapin :

[...] Elle s'approcha de la bête inanimée qu'elle manipula, tourna et retourna, avant de pratiquer dans le pelage une incision au niveau du dos, une fine entaille, nette, dans laquelle, après avoir reposé la lame, elle enfonça les doigts. Des deux mains, elle fouilla rapidement dans la fourrure comme si elle allait en extraire quelque chose par la fente qu'elle venait de faire, puis, d'un coup sec, elle décolla la peau, la divisant en deux parties bien distinctes d'un geste franc, laissant soudain apparaître le corps à vif du quadrupède fraîchement dépouillé, dont les muscles lisses et luisants étaient d'un affreux rose violacé.
  Elle a dû aller se promener pendant que tu étais au village, poursuivit-elle.
Ma mère savait donc que j'étais descendu au village. Avait-elle entendu la voiture ?
  Tu es allé voir ta cousine ? Elle a encore dit du mal de moi ?
Je ne répondis pas.
Je me demandais si ma mère avait vu Claire et si elle refusait de me dire où elle était. Par transparence, on devinait tout un réseau de veines et de fibrilles rouges sous la chair du lapin. En revanche, on ne pouvait plus voir la tête, recouverte par la peau invaginée
[...]

Almendros aime à glisser dans la narration une phrase purement descriptive. Sans lourdeur, il superpose l'action et la pensée, le monde intérieur et le monde extérieur. Comme ci-dessus où Laurent se pose des questions sur sa mère en regardant le lapin qu'elle vient tout juste de dépouiller par sa mère. Plus tôt dans le récit, elle lui disait ne plus se souvenir s'il aimait le lapin "tout en sortant d'un tiroir un long  couteau de cuisine". Voila un procédé qui ne relève en aucun cas du thriller mais qui appuie sur la blessure intérieure provoquée par les propos de la mère. Et tout est ainsi dans ce roman qui procède par images et symboles qui s'incrustent de  manière subconsciente dans  les pensées du narrateur et du lecteur. La mort rôde, des mouches inanimées au pied d'une fenêtre, un chien sans vie découvert en forêt, comme des flashes glaçants qui vienne prédire un drame familial en milieu rural. Rien n'est dit et pourtant tout est dit dans une grande maîtrise du sous-entendu.

Les Éditions de Minuit ; 2018 ; 126 p. ; 11,50 €

Tag(s) : #Littérature française
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